Lard du bull-shit : l’élevage zéro carbone selon la ferme de Gorce

Ce sondage LinkedIn qui s’appuie sur l’apparente « décarbonation » de la ferme de Gorce donne l’occasion de s’interroger sur la possibilité d’un élevage bovin zéro carbone :

La question est  étonnante : l’élevage zéro carbone serait possible ?

Quand on est habitué à lire que l’élevage est par nature fortement émetteur de gaz à effet de serre, l‘expression « élevage zéro carbone » attire l’attention. En général, on voit passer des possibilités d’optimisation de l’ordre de 20%, pas beaucoup plus.

Rappel rapide du contexte :

L’élevage classique est fortement émetteur de gaz à effet de serre : il génère environ 1 à 1.5 tonne de CO2 par habitant et par an, sur une empreinte carbone totale de 10 tonnes.

Parmi ces gaz, très peu de CO2 mais :

  • 2/3 de méthane, principalement lié à la fermentation entérique. Comme piste d’amélioration, l’optimisation de l’alimentation des bêtes pourrait aider à gagner autour de 10-30%.
  • 1/3 d’azote, principalement lié à l’épandage d’engrais, qu’il soit bio ou issu de l’industrie chimique. Là aussi, la principale piste est l’optimisation, pour un gain de 10-30% selon les sources. (Rappelons que le le bio ne diminue pas les émissions par rapport au conventionnel : bio ou phyto, les engrais émettent de l’azote).

(remarque : les gains mentionnés ne s’additionnent pas, puisqu’ils concernent des périmètres complémentaires)

Dans la ferme de Gorce, les vaches ont BEAUCOUP d’espace…

La recette de l’élevage zéro carbone selon le post LinkedIn : 100% d’herbe + déplacement quotidien des vaches + éthique + éducation des vaches (?) + homéopathie + abattage local.

Première remarque : dans cette liste très médecine naturelle, aucun élément n’a de raison physique de générer la moindre baisse de CO2.

Pour comprendre la spécificité de la ferme de Gorce, il faut glaner deux chiffres. A partir de deux sources : le site de la ferme et une vidéo) on apprend que :

La clé de la « réussite » de Gorce : dans 150 hectares, 30 vaches paissent tranquillement.

5 hectares par vache. N’ayant aucun point de repère, j’ai cherché quelle surface était nécessaire pour élever des vaches. Ce guide « maxi pâturage bio »  propose 0.5 hectare par vache. La surface en conventionnel doit être très inférieure.

D’un côté « maxi pâturage bio » mentionne 0.5 hectare par vache, d’un autre côté Gorce offre 5 hectares par vache : 10 fois plus.

Un ordre de grandeur en découle : si les 24 millions de bêtes du cheptel bovin français (viande et lait) disposaient chacune de 5 hectares, il faudrait 2 fois la superficie de la France métropolitaine.

Pour un greenwasher, les prairies inutilisées par les vaches ont une utilité comptable…

Sur les 150 hectares de la ferme, si 10% sont utiles à l’alimentation des bêtes (les 0.5 hectare par tête du « maxi pâturage bio », soit 15 hectares sur les 150 de la ferme), les 135 autres hectares n’ont pas d’utilité pour l’élevage : les boeufs de Gorce n’ont pas de raison d’être boulimiques !

Or, la comptabilité carbone permet de considérer les prairies comme des « puits de carbone ».

L’astuce est toute simple :

  • D’un côté, une activité d’élevage bio assez standard (modulo l’homéopathie et la formation 🙂 ), qui émet a priori autant de gaz à effet de serre que n’importe quel élevage de taille comparable.
  • D’un autre côté, l’intégration dans la comptabilité carbone du « puits de carbone » que représentent les 135 hectares de prairie non utilisées par le cheptel permet d’effacer, sur le papier, les émissions de l’activité d’élevage.

 

Au passage, si la ferme de Gorce disposait de 50 ou 100 hectares supplémentaires, elle prétendrait sûrement être le premier élevage au monde à capter du carbone.

Le diable se nichant absolument partout, la ferme de Gorce a une bonne raison d’émettre plus de gaz à effet de serre que la moyenne : elle laisse ses bêtes vivre jusqu’à au moins 3 ans, alors que de nombreux éleveurs visent plutôt les 2 ans.

Or, chaque animal étant, tant qu’il vit et digère, une sorte de machine à émettre des gaz à effet de serre, une bête abattue à 3 ans a de bonnes raisons d’avoir émis autour de 50% de plus de gaz à effet de serre qu’une bête abattue à 2 ans.

L’invention de Gorce : un élevage qui produit 10 fois moins que la moyenne ?

La ferme de Gorce a inventé un élevage bovin zéro carbone ?

Soit. Seulement, il a pour caractéristique de nécessiter 5 hectares par tête au lieu de 0.5 hectare, ce qui mènerait à diviser par 10 la quantité de viande produite si on le généralisait.

Gorce ne produit pas la viande « autrement », mais en produit « beaucoup moins à l’hectare ».

Manger moins de viande (bovine) est le seul levier ayant la bonne portée

Ceux qui n’acceptent pas ce petit jeu comptable se contenteront de penser que pour baisser de manière conséquente l’impact carbone de l’élevage bovin, mettre en place les optimisations permettant de gagner 15-30% est toujours bon à prendre, mais diviser la consommation de boeuf est tout simplement indispensable.

Que ces protéines soient remplacées par des viandes moins carbonées (volaille ou porc) ou par des légumineuses et des céréales est un autre débat.

Un lien intéressant : IDELE, Elevage de ruminants et changement climatique

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