Depuis plus de 50 ans, on annonce l’épuisement imminent de certains métaux… Pourtant les quantité extraites continuent de progresser, et la date fatidique de disparition de tel ou tel métal semble reculer d’année en année.
En première partie, cet article explicite le (mauvais mais fort courant) raisonnement qui mène à craindre perpétuellement un épuisement imminent.
En seconde partie, on décrit le risque que les capacités d’extraction ne progressent pas aussi vite que la transition énergétique le nécessiterait.
En effet : s’il n’y a pas de risque d’épuisement, la transition énergétique nécessite à court terme une très forte croissance des capacités d’extraction.
L’épuisement dans 10 ou 20 ans : une vieille histoire !
Prenons l’exemple de l’argent (le métal, hein) : en 1972, le célébrissime The Limits to Growth de Meadows estime les réserves disponibles à 16 ans. Quarante ans plus tard, Philippe Bihouix les estime dans l’excellent L’âge des low tech à 13 ans (le livre s’appuie sur des chiffres de 2009). Ces deux documents se basent sur la même source : les statistiques de l’USGS.
Or, que nous dit l’USGS en 2021 ? Que les réserves disponibles du métal argent correspondent à 20 ans de production actuelle…
En 50 ans, le temps de « reste à vivre » est passé de 16… à 20 ans. C’est déstabilisant. Et on a le même mécanisme pour le cuivre, le zinc, etc :
Bien entendu, le collapsologue de base ne s’embarasse pas d’une vision rétrospective et se contente de jouir en prédisant de nombreux épuisements d’ici 10 à 20 ans.
L’erreur est toute simple : le ratio « réserves / production annuelle » n’est que le reflet d’un effort industriel et ne dit rien du « reste à extraire »
Point commun des Cassandre : calculer le ratio entre deux chiffres fournis par l’USGS : la production annuelle et les réserves. Il faut dire que c’est tentant, ces deux chiffres nous tendent les bras.
Pourquoi les scientifiques de l’USGS, eux, ne calculent-ils pas ce ratio pour en déduire l’indisponibilité imminente de tel ou tel métal ? Simplement parce qu’ils savent que ce serait un non sens.
Le point essentiel que manquent les Cassandre est que les réserves sont un inventaire à une date données des réserves identifiées par les compagnies minières.
Ces entreprises ont une bonne raison de ne pas identifier des réserves avec 100 ou 300 ans d’avance : cela leur coûterait une fortune en exploration et les mettrait au tapis. Rationnellement, elles n’ont aucun intérêt à constituer un stock de réserves supérieur à ce qui leur permet de fonctionner d’un point de vue industriel. Et rassurer les Cassandre n’est pas une motivation suffisante pour mettre en péril leur survie économique.
L’USGS décrit parfaitement ce mécanisme ici (dans la version de 2009, cette mise en garde était bien moins explicite)
Sera-t-il possible d’accélerer autant que la transition énergétique le nécessite ?
Au moins une ressource est en train de passer son pic de production, ce qui est plutôt une bonne nouvelle pour la planète : le pétrole (mais l’impératif de transition mène à se passer du pétrole plus vite qu’il ne baisserait naturellement).
Or, le passage de technologies « fossiles » à des technologies « bas carbone » implique de remplacer les ressources fossiles par des ressources minérales pour produire massivement panneaux solaires, éoliennes et batteries.
L’Agence Internationale de l’Energie le résume parfaitement dans ce rapport sur le rôle des matériaux critiques dans la transition :
- Les ressources minérales ne manquent pas (p. 121)
- Cependant, les investissements actuels ne sont pas compatibles avec la forte croissance à 10-20 ans des besoins issus de la transition énergétique (p.120)
- Les challenges industriels, économiques, environnementaux ne manquent pas (p. 124-131)
En conclusion, si l’on met de côté toute question morale, tout enjeu de sobriété : d’un point de vue purement physique nous disposons d’assez de ressources minérales pour assurer de manière pérenne un mode de vie moderne « bas carbone » ; mais dans les 10-20 prochaines années l’intendance industrielle risque d’empêcher que le mouvement n’aille aussi vite qu’il le faudrait.
Annexe : ressources des principaux métaux de la transition, selon l’USGS
Cuivre :
- 20 millions de tonnes produites par an,
- 870 millions de tonnes de réserves (43 ans)
- 5.6 milliards de tonnes de ressources mondiales identifiées et non identifiées (280 ans)
Zinc :
- 12 millions de tonnes produites par an,
- 250 millions de tonnes de réserves (20 ans)
- 1.9 milliards de tonnes de ressources mondiales identifiées (158 ans)
Plomb :
- 4.5 millions de tonnes produites par an,
- 88 millions de tonnes de réserves (20 ans)
- 2 milliards de tonnes de ressources mondiales identifiées (454 ans)
Etain :
- 270 mille tonnes produites par an,
- 4.3 millions de tonnes de réserves (16 ans)
- « Les ressources sont étendues et, si elles sont développées, pourront soutenir la production annuelle actuelle longtemps à l’avenir ».
Nickel :
- 2.5 millions de tonnes produites par an,
- 94 millions de tonnes de réserves (38 ans)
- 300 millions de tonnes au moins sont identifiées sur terre, ainsi que de vastes ressources océaniques (120 ans)
Lithium :
- 82.000 tonnes produites par an,
- 21 millions de tonnes de réserves (256 ans au rythme actuel)
- « grâce à la poursuite de l’exploration, les ressources identifiées ont augmenté de manière substantielle et atteignent 86 millions de tonnes » (sous-titre : il y en a encore beaucoup à découvrir)
Cobalt :
- 140.000 tonnes produites par an,
- 7.1 millions de tonnes de réserves (50 ans)
- 25 millions de tonnes au moins sont identifiées sur terre, ainsi que 120 millions de tonnes sur les sols océaniques (178 ans pour ressources terrestres)
Définitions( p. 196), du plus large au plus restreint :
Ressource : forme, quantité et concentration telles que d’un point de vue économique, une extraction est actuellement ou potentiellement faisable.
Ressource identifiée : partie des ressources spécifiquement étudiée d’un point de vue géologique, en termes de quantités, qualité, concentration.
Réserve : partie des ressources identifiées qui peut être extraite d’un point de vue économique au moment de la qualification.
Conclusion : le 21ème siècle peut rester « open bar »
Pour les générations futures, le recyclage des quantités déjà extraites deviendra un impératif pour certains métaux.