Combien faut-il de gaz pour épauler les énergies renouvelables ?

Nombre de pro-nucléaires et de pro-renouvelables se retrouvent autour d’un centre d’intérêt commun : raconter n’importe quoi sur la place du gaz (fossile, biogaz, hydrogène) dans un système électrique basé sur les énergies renouvelables.

Typiquement :

« le gaz doit disparaître du mix énergétique »
(un pro-renouvelable)
 
« les renouvelables, c’est aussi et surtout beaucoup de gaz » 
(un pro-nucléaire)

 

L’idée est de montrer en quoi ces deux visions sont fausses, et d’en dessiner une plus réaliste, à savoir : comme tous les scénarios le montrent, les centrales à gaz (bio, fossile ou hydrogène) ne vont pas disparaître car elles sont nécessaires pour gérer l’intermittence des renouvelables, mais des quantités limitées de l’ordre de 5-10% du mix électrique seront suffisantes.

« Le gaz doit disparaître ». Faux : il est nécessaire pour gérer l’intermittence

En dehors des spécialistes, peu de pro-renouvelables s’intéressent à la gestion de l’intermittence de l’éolien et du solaire : c’est un peu : « laissez-moi installer mes panneaux, pour l’intermittence Dieu pourvoira ! »

Plusieurs techno-mythes prospèrent :

  • Mythe 1, le stockage batterie comme solution à l’intermittence : les batteries (de Tesla, forcément) stockeraient l’énergie pour répondre à la demande lorsqu’il n’y a ni vent ni soleil.
    Problème : Le stockage par batterie est techniquement et économiquement incompatible avec le stockage de plusieurs jours. (Preuve économique rapide : à 250 K€ / kWh, stocker une petite journée de 1 TWh nécessiterait un investissement de 10% du PIB français : stocker 10 ou 20 jours n’a aucun sens, même avec des coûts divisés par 4). Les batteries sont utiles pour « déplacer » la production des panneaux solaires autour de midi vers le pic de consommation du soir, il ne faut pas en attendre plus.
  • Mythe 2, le foisonnement éolien comme solution à l’intermittence : au niveau continental, il y aurait toujours du vent quelque part, il suffirait alors d’interconnexions entre les régions pour répondre à la demande.
    Problème : une étude d’Engie permet de mettre des ordres de grandeur sur l’effet de foisonnement en France : prise isolément, chacune des 3 façades maritimes produit entre 64% et 72% du temps à plus de 20% de sa puissance installée. En raisonnant au niveau national, on passe à 90%. C’est un effet notable, mais même en atteignant 98 ou 99%, 3 à 6 jours par an de black-out électrique n’est pas une voie de progrès.
  • Mythe 3, la flexibilité de la demande comme solution à l’intermittence : grâce à l’intelligence des objets, la consommation d’électricité pourrait être « déplacée » vers les pics de production du solaire et de l’éolien.
    Problème : Dans son étude 100% EnR pourtant très « pushy », l’ADEME envisage une capacité d’effacement de 8GW, (10% de la consommation maximale) comme très ambitieuse.

Chacune de ces 3 approches est une partie de la solution et doit être mise en place, mais même combinées elles ne permettent pas de pallier l’intermittence des renouvelables.

Car il faut aussi une solution pour tenir quand la production est faible plusieurs jours d’affilée, ou lors des pics de consommation en hiver…

Cette solution, présente dans toutes les études sérieuses (RTE, ADEME, IEA, negawatt) : installer des centrales à gaz en backup.

  • Premier exemple, l’étude 100% EnR de l’ADEME fait tout pour le cacher, mais son scénario de référence intègre 8.5% de production électrique par centrales à biogaz.
  • Second exemple, l’étude australienne de Transgrid, qui donne une place centrale au stockage, précise bien la nécessité de disposer de centrales pilotables pour 1% à 6% de la production totale.

 

Les centrales à gaz sont nécessaires car elles sont le seul moyen de production d’électricité complémentaire des énergies renouvelables, tant techniquement (par sa rapidité de variation de la puissance produite) qu’économiquement (grâce à une structure de coûts variables plutôt que fixes).

L’angle mort de ces « pro-renouvelables » n’est pas tant le rejet du gaz (qui serait contre le biogaz ou l’hydrogène vert ?), que le rejet épidermique de la notion de centrale à gaz. On préfère croire en des batteries quasi gratuites, plutôt qu’assumer la nécessite de centrales à gaz. Peut-être par crainte qu’elles soient « détournées » pour continuer à brûler du gaz fossile ?

« Les renouvelables, c’est beaucoup de gaz ». Faux : 5-10% suffisent

Passons de la naïveté pro-renouvelable à la mauvaise foi pro-nucléaire. 

En lisant certains d’entre eux, le lobby du gaz serait même derrière le développement des renouvelables, afin de rafler la mise une fois démontrée l’incapacité du solaire et de l’éolien à assurer la stabilité d’un système électrique.

Quelles proportions de gaz dans le mix électrique craignent-ils ? Voici l’extrait d’un article de l’excellent JM Jancovici qui explicite un ordre de grandeur :

« L’Espagne illustre donc parfaitement ce à quoi conduit un équipement éolien massif dans un pays qui ne peut pas mettre de l’hydroélectricité de lac en face (pour une puissance installée équivalente) : se rendre prisonnier, pour une production annuelle 2 à 3 fois supérieure à celle de l’éolien, des combustibles fossiles, et du gaz en particulier. »

Prenons Jancovici au mot : si la production de gaz est 2 à 3 fois celle de l’éolien, un système électrique visant le tout renouvelable serait en fait condamné à reposer à 50% ou 75% sur le gaz ?

C’est un raisonnement sans fondement autre que la mauvaise foi. 

Pour y voir un peu plus clair, ce mini-modèle permet de comprendre la logique qui sous-tend les ordres de grandeur réels. Voici un résumé :

  • En installant exclusivement du solaire ou de l’éolien, sans stockage et dans des quantités couvrant la demande annuelle, il faut :
    • solaire seul = 60% de backup gaz (il faut déplacer la production de milieu de journée vers le matin ou le soir)
    • éolien seul = 30% de backup gaz (moins pire mais encore énorme)
  • En mixant solaire et éolien, toujours sans stockage, il faut encore 25% de backup gaz
  • Mais un peu de stockage change tout : avec 1 à 2 jours de stockage disponible (hydraulique + batterie), le niveau de backup gaz se trouve entre 5 et 10%.

A noter : si les premières dizaines d’heures de stockage font baisser fortement le besoin de backup gaz, l’efficacité des jours supplémentaires de stockage s’effondre au-delà du 2ème ou 3ème jour.

L’idée à retenir est simple : sans aucun stockage, il faut des quantités indécentes de gaz ; mais 1 ou 2 jours de stockage sont efficaces pour ramener le besoin de gaz à un niveau raisonnable (les barrages français offrent déjà plusieurs heures de stockage)

Remarque : ces petits calculs de coin de table ne valent que pour les grandes masses, et ne disent rien de la faisabilité technique ou des impacts sur le réseau. Pour plus de détails sur les enjeux technologiques de très fortes pénétrations d’énergie renouvelable, lire cette étude conjointe de l’IEA et de RTE.

Gaz fossile biogaz ou hydrogène ?

Une centrale à gaz naturel émet autour de 400 kg de CO2 par MWh produit, alors que l’intensité carbone du mix de l’électricité française actuelle est inférieure à 40 kg de CO2, grâce au nucléaire.

Dans l’hypothèse d’une très forte pénétration d’énergies renouvelables, 5% de gaz naturel pour le backup de l’intermittence mèneraient à une intensité carbone globale d’environ 40 kg de CO2 (10% de gaz mèneraient à 60 kg).

C’est important à retenir : au pire, l’utilisation de gaz fossile en backup de l’éolien et du solaire est compatible avec des niveaux acceptables d’émissions de CO2.

Mais pour des raisons écologiques et géopolitiques, il serait très largement préférable de remplacer le gaz fossile soit par de l’hydrogène (généré par électrolyse), soit par du biogaz (issu de la méthanisation).

Les ordres de grandeur sont-ils cohérents ?

Si on envisage l’hydrogène :

Il n’y a pas de contraintes physiques : il « suffit » de produire assez d’électricité afin de générer par électrolyse l’hydrogène qui sera utilisé par la suite en backup.

Si on envisage le biogaz :

La production actuelle de biogaz représente environ 5 TWh par an, mais la filière est à peine constituée. L’ADEME estime le gisement mobilisable d’ici 2050 à 130 TWh par an130 TWh, c’est 30% de la production électrique actuelle : largement de quoi assurer le backup de l’éolien et du solaire.

 

Les limites physiques reviennent quand on raisonne hors électricité

En revanche, l’usage actuel du gaz ne se limite pas à la production électrique : environ 300 TWh de gaz fossile sont consommés chaque année en France, dont 200 TWh pour le chauffage et 100 TWh par l’industrie (chimie, agroalimentaire, métallurgie, …).

L’équation permettant de supprimer le gaz fossile se complique donc, et pour la résoudre il faudra enclencher deux révolutions supplémentaires : décarboner des secteurs industriels (électrification, hydrogène,…), et électrifier une grande partie du chauffage.

En conclusion,

Le débat public gagnerait à s’enrichir de la notion de centrales de backup à biogaz ou hydrogène.

Car plus longtemps on tapera sans distinction sur les centrales à gaz, plus il sera difficile d’expliquer à l’opinion la nécessité d’installer de nouvelles centrales à gaz (bio ou hydrogène).

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